Editorial -
Galaxies N° 60

Un petit pas dans le passé
C’était l’été de mes dix-sept ans. Nous avions passé la journée au bord de la mer avec des amis de mes parents qui louaient une villa en bord de Manche. Nous rentrions dans la Volkswagen 1600 de mon père et l’autoradio diffusait une émission spéciale. Aucun de nous trois ne prononçait un mot en écoutant seconde par seconde le récit de la descente du LEM vers la Mer de la Tranquillité, et soudain ce fut accompli… Quelques secondes après les techniciens de la NASA, nous entendîmes la voix de Neil Amstrong prononcer ces premières paroles :
« Allô la Terre. Ici la base de la Tranquillité. »
En rentrant à la maison, mes parents fourbus allèrent se coucher, mais je restais devant l’écran de la télévision allumée, avec mon appareil photographique et six pellicules que j’allais utiliser entièrement (y compris l’une qui avait déjà été impressionnée lors de la visite d’un zoo, ce qui pourrait permettre aux complotistes d’en déduire que tout cela a été tourné en Afrique puisqu’il n’y a certainement pas de girafe ni d’éléphant sur la Lune).
Et puis, il y eut cette autre parole : « Un petit pas pour l’homme, un bond de géant pour l’humanité ».
Je fais partie de cette génération qui se souvient des premiers bip-bip du Spoutnik, du voyage circumterrestre de Youri Gagarine, des premières sorties dans l’espace, de l’affrontement par réussites technologiques interposées entre l’URSS et les États-Unis, de cette génération qui se souvient d’avoir vu un soir s’interrompre les émissions de la télévision (une chaîne unique) pour faire place à l’annonce de l’assassinat du président Kennedy, de cette génération qui avait appris à l’école à dessiner le contour des frontières de l’empire et qui sans bien comprendre vit se créer ce qu’on appelait alors la Communauté économique européenne.
Et donc, il y a cinquante ans, l’homme posait le pied sur la Lune, et l’avenir semblait ouvert. Quand j’eus la chance l’année suivante de discuter en tête à tête pendant plus d’une heure avec un des premiers cosmonautes soviétiques , celui-ci m’encouragea à suivre des études scientifiques pour devenir un jour un homme de l’espace (ce qui fit de moi un géologue !).
C’est dire comme cela nous tenait à cœur. Je n’ai qu’un très vague souvenir des championnats de France de football, je ne me suis jamais passionné pour le Tour de France, ni pour aucune compétition sportive, mais je connaissais à la seconde près le temps passé dans l’espace par chacun de ceux et de celle (celle était au singulier) qui avaient connu l’ivresse de l’apesanteur. Nous pensions alors que la colonisation de la Lune irait de soi (colonisation était un mot qui n’était pas encore connoté), nous pensions qu’en l’an 2000 des bases permanentes existeraient sur notre satellite, que des centaines et pour les plus optimistes des dizaines de milliers d’humains y vivraient, y travailleraient et même s’y reproduiraient. Et puis le monde changea.
On oublia la Lune. La navette spatiale se contenta de courts voyages dans la vicinité, on construisit la station spatiale internationale, on parla un peu de Mars, mais sur la Lune, là où douze hommes avaient posé le pied avec six vaisseaux différents, il n’y avait plus rien…
Et, puis voilà que 50 ans après, on y revient. La Chine prévoit d’aller y prendre pied, envoie déjà ses robots explorer la face cachée, l’Inde prépare son programme, pendant que la NASA confie maintenant à des entreprises privées le projet de retourner sur le satellite de la Terre et, de là, peut-être de préparer d’autres voyages.
Oui, mais, me direz-vous, quel gaspillage ! Quelle signature carbone scandaleuse ont laissé Amstrong, Aldrin et Collins et ceux qui les ont suivis. Et pour nous tous qui avons aimé et encouragé cette course à l’espace, peut-être et même sûrement faut-il aujourd’hui tendre tous nos efforts vers le but prioritaire qu’est la préservation de notre environnement. Mais il y a toujours le souvenir de cette nuit magique devant cet écran de télévision, avec des images fantomatiques, ce Kangaroo Hoop et ce pas de géant. Il y a toujours cette envie d’espace, à jamais chevillée au corps, et cette confiance. C’est pour cela que ce dossier préparé par Jean-Pierre Laigle était indispensable.
Autant que les nouvelles et les articles qui accompagnent ce nouveau numéro de Galaxies, sans doute !
Pierre Gévart
28 juin 2019