Editorial -
Galaxies N° 67

’été 1816 « fut un été humide et rigoureux, se rappelle Mary Shelley en 1831, et la pluie incessante nous confinait des jours entiers à l’intérieur de la maison ». En effet, quelque part en Indonésie, un volcan venait d’exploser, projetant dans l’atmosphère une telle quantité de poussières que celles-ci interceptèrent une partie du rayonnement solaire, et que la température moyenne du globe baissa de 2 à 3 °C pendant trois années de suite.
La jeune Marie Shelley, qui va bientôt avoir 19 ans, son ravisseur et amant le poète Percy Shelley, le grand Lord Byron et l’écrivain John Polidori se sont réfugiés au bord du lac Léman, dans la villa Deodati, et vont sans le savoir inventer un nouveau genre littéraire.
En effet, pour se distraire, les jeunes gens lisent des histoires fantastiques issues de vieux contes germaniques, et Byron a une idée : « et si chacun de nous écrivait un roman d’horreur ? ».
Deux mythes modernes qui ont traversé le 19 et le 20e siècle vont naître de ce défi : une nouvelle esquissée par Byron et terminée par Polidori : « Le Vampire », qui sera le prototype de Nosferatu ou de Dracula, et surtout un roman achevé écrit par la jeune femme : Frankenstein ou Le Prométhée moderne. Avec ce livre, Marie Shelley ne s’est pas livrée à une quelconque improvisation de salon : les problématiques qui traversent le texte et qui touchent autant aux droits et à la position des femmes qu’au développement des sciences ont pétri depuis l’enfance l’imagination et la formation de cette fille d’une des premières écrivaines féministes : Mary Wollstonecraft, et d’un écrivain aux idées libérales : le philosophe William Godwin. Avec ce livre, Marie Shelley vient d’inventer un genre qui devra encore attendre un siècle pour trouver son nom, et qui nous est cher : la science-fiction. Car Frankenstein est souvent présenté à raison comme le premier roman de SF.
Émilie Gévart nous parle de cette femme, et Michael Nicholson de ce que révèle la créature sur la nature de la communauté scientifique du début du XIXe siècle. Nous verrons d’ailleurs, aussi bien en suivant son évolution à travers les âges du cinéma avec Jean-Pierre Andrevon que sa réinterprétation au milieu du XXe siècle dans la collection Fleuve noir grâce à Didier Reboussin, que le mythe est toujours vivant. Pour leur part, Viktoriya et Patrice Lajoye sont allés rechercher en Russie un texte d’une autre autrice, russe cette fois : Anna Doganovitch qui, en 1909, publie la nouvelle « La Chair ressuscitée ».
Mais surtout nous montrerons comment aujourd’hui la créature et sa créatrice inspirent toujours les auteurs qui ont à notre demande bien voulu écrire sur ce thème à l’occasion de notre appel à textes. Des textes, nous en avons reçu beaucoup, de bonne facture et même de très bonne facture. C’est pourquoi, après en avoir sélectionné dix qui figurent dans ce volume (dans sa version imprimée), nous vous en proposons quinze autres à la fois dans la version électronique de la revue et dans un Galaxies bis no 67 dans lequel nous avons réparti les nouvelles en deux catégories : « la créatrice », d’une part, avec toutes celles qui s’attachent essentiellement à l’autrice Mary Shelley, et d’autre part « la créature », avec celles qui voient réinterpréter ou actualiser le mythe. Vous pourrez vous procurer en ligne un exemplaire numérique de ce Galaxies bis, ou en commander une version imprimée, en souscription.
Suivront parmi nos articles habituels les notes de lecture orchestrées par Laurianne Gourrier et la chronique BD de Fabrice Leduc. L’analyse des films de science-fiction et fantastique sortis depuis le début de l’année 2020, toujours menée par Jean-Pierre Andrevon, clôturera le riche contenu éditorial de ce numéro spécial dont on remarquera également la couverture et le titrage créés par Élodie Boivin.
Bonne lecture donc !
Pierre Gévart
22 juillet 2020